1 Introduction
1.1 Contexte général
La culture d’agrumes est la principale culture fruitière au monde (Comte, 2013). Cette culture fait face à une crise sans précédent à l’échelle mondiale due au Huanglongbing, couramment appelée HLB ou « greening », une maladie bactérienne qui est la plus dévastatrice des maladies des agrumes (Moriya et al., 2019). Le HLB se propage rapidement et a un impact dévastateur sur la production d’agrumes dans les principales régions productrices d’agrumes du monde telles que la Chine, le Brésil, l’Inde et les Etats-Unis (Deng et al., 2020). Cette maladie a été identifiée pour la première fois en Chine il y a un siècle et depuis, 51 des 140 principaux pays producteurs d’agrumes ont été infectés par la maladie (Moriya et al., 2019). Cependant, d’importantes régions productrices d’agrumes comme la région méditerranéenne et l’Australie sont pour le moment épargnées par cette maladie (Gutierrez et Ponti, 2013). Par ailleurs, Trioza erytreae, un des insectes vecteurs de la maladie a été trouvé dans la péninsule ibérique et pose une menace immédiate de propagation du HLB dans la région méditerranéenne. En Guadeloupe le HLB a décimé la quasi-totalité des vergers et fait chuter la production agrumicole de 70% au début de l’année 2020 (Morillon, 2020). Le HLB est donc devenu un problème d’échelle mondiale dont la surveillance est devenue primordiale afin de limiter ses futures propagations (Wang, 2019). L’un des problèmes concernant la surveillance et la lutte contre cette maladie est que les différents travaux de recherche apportant des éléments concernant la lutte contre cette maladie ont été menés sur des paysages homogènes de grandes surfaces de vergers en Californie, en Floride ou au Brésil (Narouei-Khandan et al., 2016). Ces travaux sont donc difficilement applicables à des paysages très hétérogènes comme à la Réunion (Gottwald, 2010). En effet, l’île de la Réunion est un territoire de 2 512 km² qui possède un fort gradient altitudinal, de 0 à 3070m d’altitude. S’ajoutent à cela les fortes différences d’hygrométrie entre la côte au vent à l’est et la côte sous le vent à l’ouest (Guilloteau, 2018). L’hétérogénéité éco-climatique étant importante sur ce territoire, la diversité des paysages est donc un aspect fondamental pour la surveillance de cette maladie.
Depuis 2012, le département de la Réunion avec son agriculture traditionnelle en agrumiculture est menacé par la résurgence de cette maladie (V. Ravigné, comm. pers.). A la Réunion les vergers d’agrumes sont fragmentés et ne représentent une superficie totale que de 300 ha environ (Leung, 2014). Les vergers sont donc répartis en petites parcelles présentes sur des altitudes comprises entre 0 et 1200m (Guilloteau, 2018). Parce que la filière est peu organisée, les vergers d’agrumes sont mal répertoriés par les services de l’Etat et un travail important de l’équipe d’accueil ces dernières années a consisté à reconstruire le parcellaire agrumicole en combinant photo-interprétation d’images aériennes et vérifications sur le terrain. On dénombre, à l’issue de ce travail 682 vergers d’agrumes dont 248 infectés par le HLB (Guilloteau, 2018). Depuis 2015, la DAAF (Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) organise une surveillance du parcellaire agrumicole et est chargée de l’arrachage des plants contaminés. La DAAF a délégué à la FDGDON (Fédération Départementale des Groupements de Défense contre les Organismes Nuisibles) les prélèvements de matériel végétal ainsi que les tests officiels de détection de la maladie. En parallèle, l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) en charge de la mise au point de méthodes officielles de détection est en coopération avec le CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) au travers de son UMR PVBMT (Unité Mixte de Recherche Peuplements Végétaux et Bioagresseurs en Milieu Tropical) pour l’amélioration de la détection et de la surveillance de la maladie.
1.2 Etat des connaissances sur la maladie
Le HLB est une maladie causée par la bactérie Candidatus Liberibacter associée à trois sous-espèces (americanus, africanus et asiaticus) (Wang, 2019). C’est la sous-espèce Candidatus Liberibacter asiaticus que l’on retrouve sur l’île de la Réunion (Aubert, 1989). Cette bactérie de type Gram- (non cultivable) se développe dans les tissus riches en glucides du phloème. Cela va entraîner des dépôts de callose dans le phloème et obstruer les vaisseaux, affaiblissant, à terme, l’arbre et entraînant sa mort (Bové, 2006). Le HLB est spécifique des agrumes et essentiellement transmis par les psylles qui sont des insectes de l’ordre des hémiptères. Deux espèces de psylles sont connues pour véhiculer la bactérie responsable de la maladie : Diaphorina citri et Trioza erytreae. Seule la première a jusqu’ici été identifiée dans l’épidémie qui sévit actuellement à la Réunion. Ces deux espèces de psylles réalisent une partie de leurs cycles de développement sur les arbres de la famille des Rutacées dont font partie les agrumes cultivés. La bactérie est transmise d’un arbre à un autre via la salive de l’insecte en se nourrissant de la sève élaborée circulant dans le phloème (Narouei-Khandan et al., 2016). Ce mécanisme de transmission de la maladie peut s’étendre sur une distance de 25 à 50 m autour de l’arbre infecté. Cette distance peut atteindre les 1,5 km en cas de vent, ce qui favorise grandement la dispersion de la maladie (Bové, 2006). Par ailleurs, en plus de la transmission par les psylles, le HLB peut aussi être véhiculé par les greffes et les plantes en pépinière déjà contaminées et vendues aux agriculteurs et particuliers, ce qui fait de la gestion des pépinières un élément clé de la lutte contre la propagation de la maladie. Le HLB affecte tous les agrumes, mais à des degrés de sensibilités différentes. La maladie provoque un dépérissement des arbres avec des symptômes visibles ressemblant à un stress hydrique ou une carence comme le jaunissement asymétrique des feuilles et des flushs (jeunes feuilles, figure 1.1 (Guilloteau, 2018)) (Bové, 2006). Ces symptômes traduisent un dépérissement de l’arbre avec des fruits petits et de forme asymétrique (Gottwald, 1989).

Figure 1.1: Symptôme du HLB sur flush, feuille, fruit et sur l’arbre
Cependant, les symptômes ne permettent pas l’identification de la maladie avec certitude (Gottwald, 1989). En effet, un jaunissement des feuilles peut également être causé par des carences en zinc ou en magnésium (Aubert, 1989). Par ailleurs, la difficulté de la détection de cette maladie réside en partie dans la période de latence qui peut durer 6 à 12 mois et durant laquelle les arbres sont parfaitement asymptomatiques tout en transmettant la maladie (Bové, 2006). Il a été montré que dans un verger avec 30% d’arbres présentant des symptômes, 50% des arbres sont déjà infectés (Bové, 2006). De plus, il est pour le moment difficile pour les biologistes de bien comprendre le HLB. Les défis actuels résident principalement dans le fait que Candidatus Liberibacter ne peut être cultivée par aucune méthode in vitro en laboratoire. Par conséquent, les analyses moléculaires et génétiques traditionnelles ont une portée limitée pour l’étude de cette bactérie (Wang, 2019).
1.3 La résurgence du HLB à la Réunion
Le HLB avait fait l’objet d’une importante campagne d’arrachage dans les années 1970-1980 en parallèle d’une lutte chimique basée sur des produits aujourd’hui interdits (notamment des antibiotiques). Ces méthodes accompagnées d’une lutte biologique et d’un replantage de plants sains ont permis d’éradiquer cette première épidémie, une réussite unique au monde (Gottwald, 1989). La lutte biologique a reposé sur l’introduction de parasitoïdes des psylles permettant un contrôle des populations de psylles vecteurs de la maladie, encore actifs aujourd’hui (Aubert et al., 1996). Cependant, depuis 2012, de nouveaux cas de HLB ont été observés sur l’île. Les parasitoïdes étant toujours présents, aucune pullulation de psylles n’est relevée et c’est uniquement D. citri qui est observé (Guilloteau, 2018). Si la cause de cette résurgence ne vient pas d’une pullulation de la population de psylles, elle pourrait provenir de vergers comportant des arbres malades non arrachés lors de la première épidémie, d’un relâchement des pratiques en pépinière ou d’une introduction accidentelle (Guilloteau, 2018).
En l’absence de traitement, l’arrachage précoce des arbres malades est pour l’instant le moyen le plus efficace de lutte contre cette épidémie. Cependant, cette méthode est coûteuse en moyens humains et financiers. L’arrachage lui-même est une procédure complexe et après replantation, un verger ne rentre en production qu’au bout de plusieurs années (4 à 6 ans), ce qui constitue un manque à gagner important. Les aides financières sont très limitées et ne concernent actuellement que la replantation. Dès lors, l’acceptabilité de la lutte par arrachage est mauvaise. De plus, la technique officielle de détection et surveillance de la maladie par PCR est coûteuse, de réalisation laborieuse et peut donc difficilement être déployée à grande échelle. De ce fait, la stratégie de surveillance officielle actuelle qui est d’analyser 60 arbres à l’hectare ne permet pas aux agriculteurs de savoir précisément le statut de chaque arbre dans leur parcelle, ce qui diminue encore l’acceptabilité des mesures d’arrachage. Permettre aux agriculteurs de disposer d’une information sur le statut de chaque arbre dans leur parcelle est un levier essentiel pour les amener à prendre les décisions difficiles que l’épidémie leur impose.
D’autres moyens de surveillance doivent donc être mis en place. C’est dans ce contexte qu’intervient la technologie de l’analyse par imagerie spectrale. Cette technologie se base sur l’analyse de la signature spectrale mesurée en réflectance qu’émet un support en réponse à une exposition lumineuse (Sankaran et al., 2013). Cette technologie présente plusieurs avantages prometteurs pour la détection du HLB. En effet, cette méthode est non destructive pour le support traité, est relativement peu coûteuse par rapport à la surface couverte et l’efficacité de l’analyse est importante à condition de trouver un calibrage optimal pour détecter la maladie (Sankaran et Ehsani, 2011). Réalisée par des spectromètres à main, cette technique pourrait en principe permettre d’augmenter significativement les cadences de détection de la maladie et ainsi fournir à bas coût une information complète aux agriculteurs touchés quant à l’état de leur verger. Des tentatives de détecter le HLB par ses signatures spectrales existent dans la littérature scientifique (Sankaran et Ehsani, 2011) et elles sont encourageantes mais le contexte réunionnais est particulier.
Les nombreuses variétés locales n’ont jamais été testées dans la littérature, même les plus importantes (tangor, mandarine zanzibar, orange navel, citron quatre saisons…) car les recherches sont principalement concentrées sur les citronniers, les orangers et les mandariniers (Sankaran et Ehsani, 2011) (Deng et al., 2020). Comme les agrumes sont souvent une culture secondaire dans des exploitations centrées sur une autre culture (canne, maraîchage), les arbres sont souvent cultivés de façon non optimale, peu technique et donc peuvent souffrir de carences nutritives et de déficit hydrique. Ces éléments font que les signatures spectrales du HLB pourraient être moins claires à la Réunion que dans les conditions testées ailleurs. Au cours de ce stage, je répondrai ainsi à la question suivante : Peut-on développer une méthode de la télédétection par imagerie spectrale fiable pour améliorer la surveillance épidémiologique du Huanglongbing (HLB) à La Réunion ?
L’objectif global va donc être de prédire le statut positif ou négatif au HLB des arbres directement avec des outils de spectrométrie.
Pour résoudre cette problématique, je traiterai les objectifs spécifiques suivants :
- Les différentes parcelles et variétés analysées ont elles une influence sur les résultats visant à prédire l’état sanitaire des arbres ?
- Quelles longueurs d’onde sont les plus discriminantes pour la recherche de la maladie par spectrométrie ?
- Peut-on connaître l’état sanitaire d’un arbre via une analyse par spectrométrie ? Sous quel degré de précision ?